La trientale

Trientalis europea

A mon cher camarade Francis Piétot
torturé et fusillé au Maquis
des Manises, le 13 juin 1944.


Francis, tu m'avais dit qu'un dimanche de juin,
Nous irions voir s'ouvrir la fleur aux sept pétales,
La timide, fragile et rare trientale,
De l'époque glaciaire, archaïque témoin.

Nous rêvions à ces temps où l'ardoise hercynienne,
Se dégageant enfin après les longs hivers,
Se couvrait d'herbe dure et de myrica vert,
Premiers balbutiements de la forêt d'Ardenne.

Le soleil réveillant les frigides moraines,
Les corolles nacrées au pied des bouleaux nains
Constellant d'astres blancs en des tapis sans fin
L'onduleuse toundra que piétinaient les rennes...

Tu devais me guider dans un vallon discret
Où survit jusqu'à nous cette fleur d'un autre âge,
Et je me préparais pour le pélerinage,
Le lent cheminement vers son gîte secret.

Mais hélas ! ce ne fut qu'une belle promesse.
Le ciel te réservait un tout autre destin :
A l'appel du devoir tu partais un matin,
Le coeur gonflé d'espoir et l'âme sans faiblesse.

Il fallait délivrer le pays ligoté...
Comme un fanal lointain attirant les phalènes,
Tu croyais voir briller par delà les grands chênes,
Phare sacré, l'étoile de la Liberté.

Lorsque tu t'enfonças dans la forêt profonde,
C'était pour retrouver tes compagnons, Francis.
Hommes debout, ils furent avec toi cent six
Qui ne devaient jamais rejoindre notre monde...

Tu ne monteras plus la vallée du ruisseau.
Mais au fond du tombeau, tes yeux que la nuit voile
Gardent-ils la vision de la petite étoile
Qui fleurit chaque été dans le Bois des Cerceaux.

Marcel DORIGNY

Gaston Armand Marcel Dorigny
    (Aiglemont 13/01/1920 - Le Mans 18/03/2004)
a été instituteur à Revin jusqu'en 1951, avant de quitter le département. C'est de la fenêtre de son école de la rue Michelet, le 12 juin 1944, qu'il a vu les camions allemands, camouflés de branchages et bondés de S.S et d'armement, escalader les lacets du Malgré-Tout. L'encerclement du maquis des Manises commençait...

Marcel Dorigny est l'auteur d'une monographie de 220 pages, éditée en 1951 par "L'Ardennais", intitulée "Quatre villages à travers les siècles" (Aiglemont, son village natal, et trois autres villages disparus : Champeau, Gély et Manicourt).