L’histoire de la maison Faure
par M. Benoît FAURE
(mardi 4 mars 2014)


Le mardi 4 mars 2014, nous recevions notre adhérent Benoît FAURE, qui nous a entraînés dans l’histoire industrielle de Revin et plus particulièrement de l’entreprise Faure, devenue après bien des avatars, Electrolux et dont le maintien en activité reste au cœur de l’actualité. Benoît FAURE a bien voulu nous autoriser à reproduire le texte de son intervention. Si néanmoins vous souhaitez en savoir plus, son ouvrage « Faure à Revin » (éditions L’Harmattan), vous permettra, en outre, d’accéder à une riche iconographie. A noter, pour la petite histoire, que la jeune femme qui fait la promotion de la cuisinière Faure sur la couverture du livre est la championne de ski, connue à l’époque, Francine Bréaud qui était également l’épouse du chanteur Sacha Distel.


L'HISTOIRE DE LA MAISON FAURE

«  Bonsoir à tous et merci a notre Président de m’avoir invité a vous présenter mon petit travail sur l'histoire de la « Maison Faure ».

N'étant ni conférencier ni historien, je sollicite à l’avance votre indulgence et répondrai bien volontiers aux questions que vous souhaiterez sûrement me poser sur tel ou tel point où j’aurai été peu clair.

Comme il se doit, je me présente brièvement : Benoît Faure, 76 ans, deuxième des 10 enfants de Bernard Faure, dernier président de la société FAURE. II était, lui-même, fils de Louis, qui conduisit la maison de 1922 a 1944. Louis avait succédé a son père Henri qui avait pris les rênes de l’entreprise familiale en 1891, à la mort de son père Théodore, qui l’avait fondée en 1854 : donc 4 générations avant la mienne. Je suis moi-même de formation d’ingénieur et j’ai accompli l'essentiel de ma carrière dans un grand groupe de travaux publics.

J'ai commencé à travailler en 1964, alors que la Maison Faure était déjà dans le giron d'Arthur Martin.

Le livre que j’ai essayé d’écrire a, lui-même, son histoire. Les « FAURE », et vous le constaterez au long de cet exposé, avaient le goût des familles nombreuses et 7, 8, 9 et 10 enfants se retrouvaient pratiquement à chaque génération. J’ai identifié plus de 1 000 descendants directs d'Henri, mon arrière-grand-père, fils et successeur de Théodore Faure. Dans ce nombre, je ne compte pas les « pièces rapportées », ou plutôt « les valeurs ajoutées », et je suis certain d'en oublier une bonne centaine, dans des branches perdues de vue.

Toujours est-il qu'en 1974, deux cousins courageux ont organisé une « cousinade » qui a réuni plus de 160 descendants (et conjoints) d'Henri Faure. Ayant pris ma retraite fin 1999, j’ai pris la relève en 2006, organisant une nouvelle rencontre où nous étions, cette fois, un peu plus de 260 cousins.

Certains m’avaient demandé d'établir les arbres généalogiques de chacune des branches, ce qui n’était pas une mince affaire, malgré les logiciels existant maintenant, et surtout d’écrire, brièvement, l'histoire de la famille depuis Théodore jusqu’en 2006. Un peu inconscient je me suis attelé à la tâche et ai fait imprimer en 200 exemplaires un petit ouvrage de 120 pages intitulé « De Creuse en Meuse, petite histoire familiale et industrielle ». On verra tout à l'heure que Théodore était venu d'un petit village de la Creuse pour s'installer à Revin.

J'avais, à l'époque, pris contact avec René Colinet, grand spécialiste de l'histoire industrielle des Ardennes, et il m’a conseillé de poursuivre mon travail et d'écrire cette fois un vrai livre, en épargnant aux futurs lecteurs trop de détails sur l’oncle « Truc » ou la tante « Machin », et en développant davantage l’histoire industrielle de « FAURE ». Il fallait, bien entendu, trouver un éditeur et j'ai été très bien accueilli par les Editions de L'Harmattan qui s’engageaient, très vite à publier mon travail, à une seule condition : je devais acheter moi-même 200 exemplaires du livre. Le nombre de cousins dont j'ai parlé me permettait d’accepter, sans risque, cette proposition.

Je me suis donc remis au travail, pratiquement à plein temps, malgré de sérieuses difficultés. Très peu d'archives dans ma famille, deux guerres et huit ans d'occupation avaient fait un premier tri. Les bulldozers en avait fait un second, plus grave encore, en rasant le siège social de Revin en mai 1981, sans beaucoup de discernement. J'ai donc rassemblé et épluché le peu que je trouvais dans la famille, et passé des journées aux Archives Municipales de Revin, aux Archives Départementales des Ardennes, à la Chambre de Commerce de Charleville, dans les bibliothèques publiques, auprès des syndicats professionnels et dans le grenier du notaire de Revin ....

Et en mars 2011, j’avais le plaisir d'effectuer deux séances de signatures de mon livre « Faure à Revin » : d’abord au Musée de Revin, situé dans la maison dite espagnole, puis à Charleville à la librairie Rimbaud. « L'Ardennais » comme « la Semaine des Ardennes » avaient bien voulu annoncer ces présentations et j'ai, lors de ces deux séances, retrouvé avec plaisir des amis et des anciens de « Faure » perdus de vue depuis longtemps.

***

Venons-en donc a cette saga familiale.

Depuis tout petit, j’avais entendu dire que la famille était originaire de la Creuse et que Gilbert Faure, le père de Théodore venu s'installer à Revin, était un grognard de Napoléon, qui avait fait toutes ses campagnes, avait été un brillant officier, et avait été plusieurs fois blessé, plusieurs fois décoré, notamment de la Légion d'Honneur après Friedland, et qu'il s'était marié à une cantinière, rencontrée pendant la campagne de Russie, et qu'il lui avait fait un enfant entre chaque campagne.

Une longue visite au Service Historique de l'Armée de Terre, situé au Fort de Vincennes devait ternir quelque peu cette belle histoire dont j’étais si fier depuis ma plus tendre enfance. Si Gilbert avait effectivement été gendarme à cheval sous Napoléon, il n'avait participé qu'à la campagne d'Espagne. Il s'était marié à EVAUX, dans la Creuse, le 25 octobre 1814, avec une fille du pays alors que Napoléon avait abdiqué le 11 avril. Maréchal des Logis, Il continua à servir dans la gendarmerie à cheval de la Creuse puis de la Haute-Vienne et c’est là qu'il obtiendra effectivement sa Légion d'Honneur moins glorieusement que si cela avait été sur la Moskova. Il avait courageusement maté un soulèvement de mégères qui voulaient faire la peau d'un receveur des impôts. Le Préfet, jugeant que ce geste de bravoure méritait une récompense estima que, je cite, « placé à la tête d’une lieutenance, il serait à craindre que cet ancien militaire, chargé d’une si nombreuse famille, et avec aussi peu de moyens d’instruction ne fût pas à la hauteur de ses nouvelles fonctions. II serait préférable à tout égard, en le maintenant à son poste actuel, de le proposer au Roi pour la décoration de la Légion d'Honneur ». Ce qui fut fait.

Gilbert a bien eu 9 enfants dont le dernier est Théodore, né en 1830. Et c’est là où commence la véritable histoire de « FAURE ». Théodore, en raison des services rendus par son père, de sa position de petit dernier et de ses bons résultats scolaires, obtiendra une bourse qui lui permettra de faire de brillantes études supérieures puisqu'il sera diplômé de l’une des premières promotions de l'Ecole des Arts et Métiers d’Angers, avant de faire une année de spécialisation à Aix.

C'était |'époque du développement des chemins de fer et Théodore est embauché par la Compagnie des Chemins de Fer des Ardennes qui deviendra la Compagnie des chemins de fer de l’Est, dirigée par le baron Sellière, ancêtre d'Antoine Sellières, ex-président du CNPF, devenu aujourd’hui le Medef. On construisait alors le tronçon de ligne Reims, Rethel, Charleville, et Sedan et Théodore s'installe à Charleville dans le quartier du Moulinet. Il est réceptionnaire et découvre les usines de la vallée de la Meuse : Monthermé, Deville, Revin, Saint-Nicolas, la Petite et Grande Commune, et Vireux, qui fabriquaient des pièces en fonte pour les chemins de fer : boîtes à graisse, roues et même tampons. Il se fait remarquer par Alexis Morel, patron des Forges de Saint-Nicolas, qui l'embauche comme chef d’atelier. Il était venu s'installer à Revin, dont la population n'était que de 2 874 habitants à l’époque, dont 106 seulement à La Bouverie, quartier où seront plus tard les principales usines. Il louait une chambre chez le boulanger Nicolas Dinant. Il épousera Joséphine Roselle Dinant, fille Joseph, un des frères de Nicolas.

Théodore FAURE (1830-1891)
Gilbert Henri FAURE (1855-1922)
Raymond FAURE (1881-1961)
Henri «Riquet» FAURE (1889-1980)


Théodore décide alors de se mettre à son compte et crée en 1854, à 24 ans, sa première société en nom collectif avec Alexandre Quinart, autre chef d’atelier des Forges de Saint Nicolas. Il y met toutes ses économies, soit 15.000 francs et Joseph, son beau-père, met la même somme pour lui permettre de construire sa première usine au lieudit « La Tamisière », à la Bouverie. Pour ceux qui ont la chance de connaître Revin, c'est à l'emplacement du parking de l’avenue Jean-Baptiste Clément, où est installée, aujourd'hui, la roulotte d’un marchand de frites et de kébabs. Cette usine est un hall de 60 mètres sur 15 mètres. Le bâtiment existait encore en 1940, avant d’être détruit par l'artillerie française qui tentait, depuis le plateau de Rocroi, d'empêcher les Allemands de construire un pont provisoire, en remplacement de celui que les troupes du génie avaient fait sauter pour retarder l'avance ennemie. Cette usine commencera à fabriquer des clous, puis Théodore y installera une première fonderie qui produira des pièces de wagons.

En 1858 il agrandit son usine et il construit aussi, à côté, une maison qu’il habitera et qui servira de cantine à ses ouvriers, payés moitié en nature, moitié en argent. C'est Roselle, sa femme, qui tient la cantine. Cette maison est la première partie de ce qui est maintenant le parc Rocheteau.

Les affaires de Théodore sont bonnes et il étend sa production à toutes sortes de pièces en fonte douce à partir de modèles appartenant à ses clients. Les équipements sont simples et rustiques: quelques châssis en fonte ou en bois, un cubilot avec son ventilateur et du petit matériel qui appartient en propre aux ouvriers (petit outillage, tamis, soufflets). Il n'y a pas d’installation pour préparer le sable de moulage, le mouleur faisant lui-même cette préparation à son goût et suivant sa technique personnelle. Les ateliers (meulage, modelage, polissage et montage) n’étaient ni chauffés ni éclairés en hiver. Les ouvriers apportaient leur lampe à huile et devaient réserver leurs travaux fins et difficiles aux heures de bonne lumière diurne.

En 1860, Théodore achète un terrain proche de la gare ou il construit le premier bâtiment de ce qui sera plus tard l'usine de « l'Ardennaise ». Alexandre Quinart se fâche avec Théodore et quitte la société dont la liquidation amiable a lieu le 5 février 1860. Un cousin et un frère de Roselle remboursent sa participation à Alexandre. Théodore continue seul et achète de nombreuses parcelles, situées en face de « la Tamisière ». Il construit de nouveaux ateliers pour y fabriquer des poêles à houille et à bois, des cheminées, des marmites, des accessoires funéraires, des pieds de table et de bancs, des balcons ou encore des portemanteaux et des porte-chapeaux et toutes sortes d'articles en fonte.

L’Ardennaise en 1862

Les nouveaux bâtiments formeront « l'usine Saint-Joseph ». Malheureusement Théodore a des difficultés à financer ses investissements. Les maisons de vente et les quincailleries ne passent en général qu’une seule commande à l’année et la payent en une seule fois. A court de trésorerie et malgré un carnet de commande bien rempli, Théodore est conduit a une nouvelle liquidation. Le 19 janvier 1868, les usines, la maison et le parc ainsi que tout le matériel d’exploitation sont mis en vente.

L’usine, la maison et le parc de « la Tamisière » sont achetés par la famille Morel, propriétaire des Forges de Saint Nicolas et principal concurrent de Théodore. « L’usine Saint Joseph » est achetée par un marchand de bois et un négociant. Théodore ne baisse pas les bras et loue immédiatement « l'usine Saint Joseph » et son matériel sans cesser la production. II la rachètera en 1879. Ce redressement est dû essentiellement à l'arrivée de Gilbert Henri, fils de Théodore qui le rappelle, alors qu'il poursuivait a Paris de brillantes études, ayant été admis à l’Ecole Supérieure de Commerce. Henri abandonne ce parcours, pourtant en bonne voie, pour venir prêter main-forte a son père. II gagne très vite la confiance des grossistes et des banques et, en 1879, une nouvelle société « Faure Père et Fils » est créée, avec un nouveau capital de 600 000 francs, fourni en partie par les plus anciens clients.

L'affaire reprend rapidement et compte alors 150 ouvriers. Devant les difficultés à trouver de nouveaux clients (Revin n'a qu'un peu moins de 4 000 habitants et de nombreuses usines ont vu le jour), Théodore et Henri achètent, en 1879, un terrain à Laifour où ils construisent en 1880 une nouvelle usine. Cette usine, embranchée au réseau ferré, fabriquera certaines pièces pour l’usine de Revin et des pièces lourdes sur modèles. Ils construisent en même temps une cité ouvrière de 10 maisons contigües, au lieudit « Madagascar ».

Le 27 février 1882, ils achètent aussi les forges de la Petite Commune sur l'autre rive de la Meuse, laissées à l'abandon depuis longtemps. Il y avait là un gisement de main-d’oeuvre puisque le hameau qui avait connu une forte activité industrielle était complètement isolé, accessible uniquement par le chemin de halage ou par une longue et mauvaise route forestière qui rejoignait Monthermé. L’usine était reliée à Laifour par un bac qui ne supportait que des faibles tonnages et c’est pourquoi Théodore et Henri n'y installèrent qu’une cuivrerie travaillant pour l’usine de Revin. L’achat comprenait celui de 35 logements ouvriers et d'une école.

L’usine de Revin se modernisait en même temps: éclairage au gaz, machines pour préparer le sable et les premières machines a mouler. L'indispensable fidélisation des ouvriers incitait « Faure Père et Fils » à construire, en, 1885 un premier groupe de maisons ouvrières, à côté de I’usine puis un autre rue Saint-Jacques, en 1890.

Théodore mourra le 12 janvier 1891. II laissera le souvenir d’un homme très bon, travailleur, inventif et talentueux, aimant la vie de famille et le chasse. On a raconté qu'il lui arrivait d’entrer dans ses ateliers et de rassembler une équipe de fidèles ouvriers pour monter dans les bois sur les traces de sangliers dont le passage venait de lui être signalé.

C'est bien entendu Henri qui assura la relève. Il avait fait ses preuves en termes de gestion, comme sur le plan commercial mais son père lui avait transmis son goût pour les problèmes techniques. Il avait notamment démarré l’émaillerie des pièces de fonte et passé plusieurs semaines en Autriche en 1890 pour mettre en route une fabrique d'émaux dont « Faure Père et Fils  » avaient vendu la licence. II bouleversa le modèle de production : un mouleur produisait par exemple, chaque jour, les 75 ou 80 pièces qui composaient un appareil ce qui était commode pour le calcul des salaires puisque l'on payait la façon d’un ensemble complet, poêle ou cuisinière. Le mouleur passait, en fait, les trois-quarts de son temps à faire du travail à la portée d’un apprenti. Henri lança donc le travail par opération qui, malgré les inévitables stocks intermédiaires, se révéla très rentable.

Henri continuera à agrandir son usine, en achetant tous les petits ateliers de ferronnerie voisins. Ses productions se diversifient comme le révèle un catalogue de 1892 comportant 597 planches, chacune déclinant un appareil différent en plusieurs dimensions.


Catalogue de 1892

Il trouve le temps de siéger au Conseil municipal de Revin, à partir de janvier 1880 et sera élu Maire en 1884. Il ne le restera pas longtemps mais développera les services publics. Revin ne disposait que de 4 lavoirs et Henri créera « l’ Etablissement des Eaux de Revin » et il développera un réseau de 23 fontaines, 25 bouches à incendie et 5 aqueducs déversant les eaux des lavoirs et des fontaines dans la Meuse. L'engagement civique d'Henri prendra fin après les grèves de 1891, passant de l’image de Maire dévoué à sa ville à celle de patron réactionnaire.

En 1891, Revin compte 5 256 habitants et on estime que 1.750 ouvriers y travaillent, dont beaucoup viennent des environs et même de Belgique. Ils sont employés dans une quinzaine d'usines, dont 1.000 chez Faure, 250 à Saint-Nicolas, 80 chez Martin, 50 chez Tilquin et 370 répartis entre de nouvelles fonderies, deux forges et les quelques ateliers de clouterie encore existants.

Ces ouvriers travaillent 12 heures par jour, sans samedis, et sont soumis à des amendes infligées par les contremaîtres si le règlement intérieur n'est pas respecté. C'est tout naturellement qu'ils découvrent l’idée de revendication. Un des chefs de file de cette évolution, dans les Ardennes, est le fameux Jean-Baptiste Clément, fondateur de « l'Emancipation », premier journal socialiste du département.

Des grèves éclatent à Revin en novembre 1890 non sans violence. Le Sous-préfet de Rocroi, à la demande du maire Henri, envoie à Revin 250 hommes du 91e de ligne de Méziéres, pour maintenir l’ordre et éviter le pillage des usines. Ils seront relayés par 150 hommes du 128e régiment d’infanterie de Givet et de nombreux gendarmes, puis par des hommes du 159e d'infanterie, triés, pour ne comporter aucun Revinois risquant d’être trop proche de la population. Si plusieurs incendies criminels et un attentat à la dynamite contre la gendarmerie de Revin furent attribués à des anarchistes, les grévistes se contentaient de défiler derrière des banderoles et des mannequins représentant des patrons accrochés à des potences. Quelques carreaux sont cassés, notamment chez les patrons, mais l'outil de travail n'est pas touché. La grève cessera le 22 mars après l'acceptation, par Henri, de la modification des fameux règlements intérieurs et une augmentation générale des salaires de 10%.

Henri s'installera, après la grève, à Charleville, pour éviter, a-t-on dit, à Elisabeth, son épouse, d’être à nouveau confrontée à des désordres sociaux. Il acheta la maison du 38, avenue de la Gare, qui deviendra plus tard l'avenue Jean Jaurès, à Alfred Corneau, frère de Georges, à l’origine du « Petit Ardennais » qui deviendra « L’Ardennais », avant de tomber dans l'escarcelle de « L'Union. »

Mais c’est aussi là que se tenaient les instances patronales des Ardennes où le rôle d’Henri avait pris de l’importance. Il sera juge, puis président du Tribunal de Commerce de Charleville. Il sera aussi membre fondateur, avec Albert Deville, qui en sera le premier président, de la Chambre de Commerce. Les autres membres fondateurs étaient les créateurs de l’industrie moderne des Ardennes : entre autres, Henri Regnault, Georges Camion et Léon Crepel.

Louis, mon grand-père, fils aîné d’Henri, avait suivi ses études primaires à l'école communale de Revin où il n’était pas simple d'être le « fils Faure ». Il entrera alors à Saint Remi puis au lycée Chanzy, avant d'entrer en Mathématiques Elémentaires à Arcueil, en banlieue parisienne en 1887, puis en Mathématiques spéciales au lycée Janson de Sailly à Paris. On ignore s'il passera des concours mais on le retrouve, en 1900, en stage dans une fonderie du Wurtemberg, en Allemagne. A son retour il effectue des stages dans divers services de l’usine de Revin, en prenant tous les matins le train de 6h09 pour y être à 7h. Il devait préparer son rapport quotidien à Henri qui arrivait par le train de 9h. Il faut aujourd'hui 1h 30 pour faire le même trajet... quand tout va bien. Le rapport de Louis comprenait le relevé des consommations de la veille, des cafuts (les pièces comportant des défauts), les absences, les rapports de montage, d’étamage et d'émaillerie. Le courrier arrivait vers 8h-8h30 et devait être présenté à Henri, dès son arrivée. Henri reprenait le train de 17h et Louis celui de 19h pour rentrer à Charleville.

Après son mariage avec Renée Rheinart, Louis habitera à Revin, la maison qui avait été celle d’Henri. Renée était la fille de Louis Rheinart, ferronnier à Charleville et de Pierre Nicolas Crepel ferronnier à Nouzon. Henri fera de Louis son associé en 1902 et l'ancienne société devient « Faure Père et Fils  ». Louis se voit attribuer 1/8ème des parts de la société (Henri avait 5 fils et trois filles). Les affaires sont prospères et, en 1903, Henri rachète, à son nom, « La Tamisière » qui avait été vendue aux Morel 35 ans plus tôt. Il en fera apport à la société dès le 3 juillet 1914.

Raymond, deuxième fils d'Henri, entre a son tour dans l'affaire familiale en 1905 et lui aussi reçoit son 1/8ème de parts. Il s’occupera du commercial alors que Louis avait en charge la partie technique.

En 1905, c'est la de séparation de l'Eglise et de l’Etat et en 1906, Emile Combes ferme les écoles religieuses, dont bien entendu celle de Revin, tenue par les soeurs de Sainte Chrétienne. Henri fonde alors une école libre dans des bâtiments qui existent toujours et abritent notamment la Maison des Jeunes. Les soeurs y poursuivront leur mission mais, officiellement, en tant que laïques.

Henri décide, en 1906, de vendre son usine de Laifour, le marché des pièces lourdes n’étant pas ce qu'il espérait et l'acheteur sera les anciens « Etablissements Emile Cochaux » de Deville.

La paix sociale qui semblait s'être installée à Revin vivra des jours difficiles en 1907. Après deux grèves ponctuelles à Saint Nicolas et chez Druart, c'est la grève générale qui va durer 133 jours, pour s'opposer à un nouveau règlement intérieur affiché dans toutes les usines. La troupe est à nouveau appelée pour éviter les saccages et, cette fois, 300 hommes du 91ème régiment d’infanterie de Méziéres et plus 40 gendarmes arrivent à Revin. Défilés de 1 500 personnes chantant la « Carmagnole » et « l'Internationale », carreaux cassés dans les usines et chez les patrons : la situation est pire qu'en 1891, à tel point que les enfants sont évacués vers Charleville, Mohon, Vrigne-aux-Bois et Raucourt. 800 des 2 000 ouvriers de Revin quittent la ville pour se faire embaucher ailleurs. Le 9 juin, à minuit et demi, une cartouche de dynamite est lancée dans la propriété d’Henri à Charleville, éclatant les vitres des maisons voisines et creusant un trou le long de sa maison. Il prétendra au journaliste du « Petit Ardennais » n'avoir rien entendu. A Revin, une barricade est dressée le 28 juillet, bloquant le pont de la Bouverie, et la situation dégénère. Elle sera rétablie fin août, après de longues négociations sous la présidence du préfet des Ardennes, Henri représentant les patrons. Le travail reprend le 2 septembre et les enfants rentrent à Revin le 14, accueillis par la fanfare municipale. Un excellent ouvrage de Roger Szymanski donne le détail de ces événements (« Une grande grève ardennaise : Revin en 1907 »-56p.-Imp. Lenoir Charleville).

Il est intéressant de noter que plusieurs usines seront créées, pendant cette grève, par des ouvriers non grévistes. Elles prendront la forme de coopératives ouvrières: « Les 20 », les « 22 » et les « 40 ». Elles seront éphémères et on découvrira qu’il n’est pas plus facile d'être tous patrons que d’en avoir un seul.

En juin 1907, Henri achète des terrains à Signy-le-Petit pour y construire une fonderie qui sera mise en route en novembre de la même année. On a dit que c'était en raison de la grève de Revin mais il n’en est rien puisque le projet est antérieur. C'est en fait la difficulté à trouver de la main-d'oeuvre à Revin qui en est la raison. Heureuse époque. Le personnel des fonderies de Signy, dont celle de Robert Bécuwe, est constitué de paysans cultivant leurs champs l’été et louant leurs bras l'hiver aux usiniers.

1907 aura aussi été l'année de l'achat par « Faure Père et Fils  » de l’usine de Jules Camion à Mézières. Elle est spécialisée en chaudronnerie lourde et, située en bord de Meuse, elle construit notamment des péniches et des bateaux en fer. Un de ces bateaux effectuait, chaque dimanche depuis 1899, le trajet Charleville-Revin. C'est de cette initiative que devait naître le célèbre Givet-Touriste : 2 jours de voyage pour le trajet aller et retour et 34 écluses. Le tourisme fluvial, relancé dans les années 1980 par Ardennes Nautisme n’est pas une nouveauté. Les lavoirs flottants et les bateaux destinés au Génie étaient aussi des spécialités de l’usine Camion, comme le matériel de chemin de fer: abris pour locomotives, soutes à eau, tenders et cendriers pour locomotives.

Cette activité de grosse chaudronnerie durera jusqu’à la guerre et l’usine se reconvertira ensuite dans la tôlerie pour cuisinières et appareils de chauffage de la gamme Faure et dans les articles de ménage en tôle galvanisée.

Le 1er janvier 1914, le troisième fils d'Henri, qui s'appelle aussi Henri et qui sera surnommé Riquet, entre à son tour dans la société et reçoit, comme ses deux aînés, 1/8ème des parts.

La mobilisation du 1er août 1914 voit Louis, Raymond et Henri fils rejoindre leur centre mobilisateur et le 3, c’est la déclaration de guerre. Tout ira très vite et les Allemands entrent à Revin le 27 août. Henri était parti pour Trouville, dans sa maison de vacances où il transfère provisoirement le siège de « Faure Père et Fils » et d’où il gardera le contact avec ses clients, grossistes et maisons de vente.

Les usines de Revin ont pratiquement cessé toute production. La Kommandantur est installée à « la Tamisière » et les maisons de Louis et Raymond sont réquisitionnées. « L'usine Saint Joseph » sert de dépôt où l'occupant entasse ce qu’il a amassé, y compris les cloches de l'église, avant d’envoyer le tout en Allemagne. On y poursuit néanmoins une petite production grâce aux femmes et aux anciens, restés à Revin. L’usine de « l’Ardennaise » sera vite reconvertie par l’occupant pour fabriquer des tuyaux, coudes et calorifères pour les tranchées.

L'usine de La Petite-Commune est pillée et celle de Signy est transformée en dépôt de ravitaillement pour les troupes allemandes de la région. Dans les différentes usines de « Faure Père et fils », comme dans toutes celles du département, les moteurs ont été enlevés de toutes les machines pour servir dans les tranchées à actionner des pompes et des dynamos.

Henri, depuis Trouville, est à la recherche d'usines de repli en zone non occupée. Fin 1915, il en loue une qui fabriquait des persiennes à Nevers et y installe une fonderie qui sera opérationnelle en trois mois. Les premiers mouleurs seront des anciens de Revin, évacués et libérés des obligations militaires. Le 12 février 1916, on y procède à la première coulée avec 6 mouleurs, effectif qui passera à 40 en quelques semaines, pour atteindre 250 un an plus tard. Henri rachètera cette usine en 1918 à l'issue du bail.

Henri prend, à la même époque, une participation majoritaire dans une usine de Conche-en-Ouches, dans l'Eure, où seront fabriqués les châssis et les plaques-modèles destinés à Nevers.

Après l'Armistice, l'activité reprendra lentement. A Revin, sur les trois machines à vapeur, une seule n’avait pas été sabotée. Le matériel emporté en Allemagne fut en partie identifié par les Services de la Commission des Récupérations qui avait son siége à Wiesbaden. Henri et Louis durent faire plusieurs voyages, à partir d'octobre 1919, en Saxe et en Bavière pour reconnaître leurs machines et les rapatrier. Les immeubles avaient subi peu de dommages directs mais avaient beaucoup souffert du manque d'entretien. Les premières fusions, faites au creuset, destinées à la fabrication des modèles en remplacement de ceux détruits par l'occupant, sont effectuées en juin 1919. Les cubilots seront remis en marche 3 mois plus tard. Le dossier de dommages de guerre aboutira au bout de plus de 4 ans par un règlement en plusieurs annuités à « Faure Père et Fils ». En revanche, l’usine de la Petite Commune ne reprendra pas son activité et ses machines, en partie récupérées en Allemagne, seront installées à Méziéres.

De nouvelles grèves ont lieu à Revin. Le pouvoir d'achat a en effet diminué de 50% entre 1918 et 1921 et seule la création d’une Commission Mixte Paritaire comprenant quatre patrons, dont Louis, et quatre ouvriers permet de sortir de l'impasse en créant une prime de vie chère.

La reprise n’est pas simple et les approvisionnements en fonte et en coke sont difficiles. Les Allemands ont fait sauter le pont du chemin de fer et la gare de Revin n’est plus desservie. Une voie provisoire sera établie, passant aux pieds du mont Malgré Tout, mais ne desservant plus la gare.

Une autre difficulté vient de l’application d’une nouvelle loi, fixant à 8 heures la durée journalière du travail. La majorité des ouvriers était payée à la tâche et ils dépassaient largement ces 8 heures. Travailler plus pour gagner plus. C'était déjà d'actualité. Le président du syndicat ouvrier de Revin ne prendra pas le risque de réclamer l'application de la loi...

Louis FAURE (1879-1960)
Pierre FAURE (1897-1966)

En 1920, Henri met en place un dispositif d'allocations familiales tout à fait précurseur. Une allocation était versée à chaque employé pour chacun de ses enfants, et ceci en fonction de leur âge. Mais, malade, il passe peu à peu la main à ses fils. Louis est en charge de Revin et de Signy, Raymond de Nevers et de la direction commerciale de toutes les usines, Henri fils (Riquet), de Méziéres et Pierre, 4ème fils d'Henri, apprend le métier en faisant la liaison entre Charleville et Revin. Pierre sera associé, avec son 1/8ème en 1921. Les premiers investissements lourds d'après-guerre seront l’installation, début 1922, d'un nouveau four à émailler et d'un monorail de 210 mètres, destiné au transport de la fonte liquide des cubilots vers les halles de moulage.

Henri mourra à Nice, où il était en repos, le 17 mars 1922 et on imagine le désarroi de ses fils, confrontés au problème de la succession d'un homme aussi omnipotent que leur père. Toujours est-il que Louis proposa à ses frères une modification des statuts comportant la séparation des droits d'administration et de gérance et que cette proposition fut acceptée. Louis était nommé gérant délégué et on voit apparaître un cousin, Jean Dufour, qui devient directeur général. Celui-ci, dès sa nomination, s'attaqua à la modernisation de la tôlerie.

Un an après le décès d'Henri, la société change de raison sociale pour devenir « Veuve Faure et Fils » mais, dés le 31 décembre 1924, la grand-mère Elisabeth abandonna ses droits à ses cinq fils. Le dernier, Jean, était entré dans la société à égalité avec ses quatre frères, les trois filles d'Henri ayant été dédommagées d'un montant équivalant aux huitièmes des parts données aux cinq frères, qui sont donc seuls porteurs de parts, chacun pour un cinquième. Louis était président du Conseil de gérance.

La période comprise entre 1922 et 1931 fut une période de grande activité avec de nombreux investissements pour remplacer le matériel détruit ou emprunté par l'occupant et agrandir les usines de Revin. Ce sera, notamment, le rachat de la fonderie des « 5 paires », enclavée dans l’usine Saint-Joseph.

La pénurie de main-d'oeuvre qualifiée rendait indispensable la réforme des moyens de production et la mécanisation. Par rapport à l’avant-guerre, le catalogue est extrêmement allégé : réduction du nombre de séries et dans chacune des séries réduction du nombre des tailles d'appareils. Les frères décident aussi de vendre leur participation dans l’usine de Conche.

Bernard, fils de Louis, est entré dans la société en 1927, à 19 ans. Il est le premier de la quatrième génération des Faure à rejoindre l'entreprise familiale.

Le 13 octobre 1930 les frères mettent en place un système de prévoyance d'épargne individuelle très innovant. La société verse trimestriellement aux membres du personnel comptant 6 mois de présence, une donation variable selon le nombre d’enfants. Elle est versée sur un compte bloqué produisant des intérêts, cet abondement étant bloqué jusqu'à leur majorité, leur permettant ainsi de s’installer. Cette dotation sera modifiée l'année suivante et fixée à 20% du salaire par enfant ce qui représentait, de fait, un doublement du salaire pour 5 enfants. Ce système pesait pour 7% de la masse salariale en 1932, soit 2,58% du prix de revient des fabrications. Sur un effectif de 850 ouvriers, 754 enfants bénéficieront de ces comptes pour 376 ouvriers chargés de famille.

Malgré cet avantage, le problème de la fidélisation de la main-d'oeuvre se pose toujours de façon cruciale alors que l'industrie continue son expansion à Revin.

La société dispose de 154 logements ouvriers pour 1 050 personnes et les gérants décident, en 1930, la construction d'une nouvelle cité-jardin : un ensemble de 132 maisons groupées par 2 ou par 3, de 4 à 5 pièces chacune. Elle accueillera 458 habitants L'ensemble est complété par une chapelle de plus de 300 places, dédiée à Saint Eloi. Les travaux dureront de 1931 à 1935 et la cité sera inaugurée début 1936.

Mais 1936, c'est aussi l'année de la crise et « Faure Père et Fils » n'est pas épargné et affichera de lourdes pertes. La production de cuisinières a baissé de 46% à Revin, celle des appareils de chauffage de 34% et seule la fabrication des cuisinières en tôIe est en légère progression. Nevers et Signy ne s'en sortent pas mieux et Méziéres connaît le pire des pertes. L'effectif de l’usine de Revin est réduit 1 050 à 700. Celui d'Arthur Martin de 1 500 à 1 350. Les grèves, certes de courtes durées, se multiplient et il faudra attendre 1938 pour que la société se redresse.

1938 et 1939 seront les années de la préparation de l’usine de Nevers à un repli, jugé inévitable, des usines des Ardennes et le 2 septembre 1939, c'est la mobilisation générale. Les fonderies vont travailler à effectif réduit et essentiellement pour le ministère de l’armement qui commande 48 000 poêles destinés aux troupes cantonnées dans le département.

Début 1940, l’usine de Revin commence aussi à produire des petits obus pour canons de 80 mm. L'attaque allemande du 10 mai 1940, avec l'invasion de la Belgique provoque, 2 jours plus tard, l'ordre d’évacuation de la région frontalière. Plus de 300 000 ardennais seront évacués. Le siége administratif de la société est transféré à Nevers, que beaucoup des ouvriers de Revin rejoignent comme ils peuvent. Bernard conduira lui-même un camion de réfugiés de Revin à Nevers. Une centaine d’entre eux reprennent le travail avec le personnel local et Jean Dufour, le directeur général, est parmi eux. Il adapte les moyens à cet afflux de personnel, en agrandissant la fonderie et les ateliers de montage.

Dès l’armistice conclu, le 24 juin quelques personnes rentrent à Revin, dont Pierre Faure qui sera nommé maire de Revin par les Allemands le 1er juillet, ce qui lui vaudra du reste quelques ennuis à la Libération. Il fait l'inventaire des dégâts subis par l’usine et accueille les Revinois qui rentrent progressivement, 300 à fin juillet 1941. L'usine de « la Tamisière », comme on l’a dit a été incendiée. Les autres bâtiments ont aussi souffert et la remise en route s'effectue lentement avec les difficultés d'approvisionnement en fonte et en coke et les fréquentes pannes de l'alimentation en électricité. 350 ouvriers ont repris le travail chez Faure en février 1942. Il est à noter qu'une partie, environ 30% de l’activité, est générée par de commandes allemandes.

La Libération verra « Faure Père et Fils » se réorganiser complètement. Louis, l’aîné des frères, qui a perdu son épouse en 1944, s'installe à Nancy près de ses filles, Christine et Françoise, et s'il reste membre du conseil de gérance, il n'a plus de fonction opérationnelle. Pas plus que Raymond qui reste à Beaulieu-les-Loches où il a acheté une demeure avant la guerre. Pierre a quitté la société pour se lancer dans une autre aventure industrielle. C'est Henri fils qui prend la direction de l'entreprise avec Jean, le dernier des frères, comme adjoint et Jean Dufour comme directeur général.

Les usines Faure à Revin


En 1953, la société change de statuts et devient une société anonyme sous le nom de « Faure et Cie » mais les difficultés commencent. Le caractère saisonnier des ventes soulève des problèmes de financement des stocks et conduit à développer de nouveaux modèles, principalement au gaz, pour pallier les effets de la morte-saison, inhérents à un catalogue trop limité au chauffage domestique traditionnel.

Bernard invente alors le fameux « Fire Ball », un appareil de chauffage d'appoint fonctionnant au gaz butane. II sera fabriqué a partir de 1953 et atteindra plus de 15 000 appareils en 1954. Cet appareil, au succès commercial certain, à un inconvénient : il ne comprend qu'une dizaine de kilos de fonte... Et Faure investit à la même époque dans la construction d'une nouvelle fonderie de fonte ultra moderne qui ne tournera jamais à pleine capacité. Cette décision, facilement critiquable 60 ans plus tard, sera une erreur stratégique à une époque où la tôle remplace peu a peu la fonte dans les appareils de chauffage et de cuisson. Les Faure ont construit la fonderie dont ils avaient rêvé 30 ans plus tôt... `

Autre erreur coûteuse, la direction de Faure accueille un peu trop de membres de la famille. En 1958 on compte : Henri fils (Riquet), président directeur général ; Jean, directeur général ; Claude, fils de Pierre, directeur commercial. ; Jean-Claude, fils de Jean, son adjoint ; Bernard, fils de Louis, responsable des études et recherches ; Henri-Jean, fils d’Henri fils, responsable des méthodes et des co0ts ; Francois, également fils d’Henri fils, contrôleur de gestion ; Christian, également fils d’Henri fils, directeur des fabrications ; Michel, fils de Raymond, directeur juridique... Louis et Raymond restant administrateurs. Ce staff généreux a un co0t disproportionné par rapport à la taille de l'entreprise et, disons-le, l'harmonie n'est pas toujours présente.

Dernière erreur, qu’il est facile d'évoquer après coup : les usines Faure avaient eu une forte croissance, essentiellement par le rachat d’usines ou d'ateliers voisins. Le tout formait un ensemble hétéroclite peu propice à y introduire des moyens de mécanisation modernes.

En 1959-1960, le chiffre d'affaires a baissé de 8% alors que l'indice national de la production industrielle a augmenté de 20%. La société sera en perte deux années de suite et les banques ne suivent plus, obligeant « Faure » à trouver un partenaire qui sera naturellement son voisin et premier concurrent depuis 70 ans : « Arthur Martin ». `

La fusion, de fait l’absorption, se fera progressivement: départ des membres de la famille fin 1959 ; unification des gammes de production, tout en conservant la marque « Faure », ce qui permet de diffuser les mêmes produits avec deux réseaux commerciaux différents ; réunion des bureaux d'études et de recherches. « Faure et Cie » sera, dans un premier temps, sous-traitant d' « Arthur Martin ». Seul de la famille, Bernard, mon père, sera maintenu comme président directeur général de Faure jusqu'a sa retraite en 1973. Ses pouvoirs sont extrêmement limités et « Faure et Cie » n’est plus qu'une vitrine commerciale.

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La saga « Faure » s'arrête là. Mais l'histoire continue et « Arthur Martin » devra céder, deux ans plus tard, sa majorité à la Société Générale de Belgique. N'ayant pas vocation à être un industriel, la banque revendra, en 1975, l'ensemble au conglomérat géant suédois « Electrolux ».

La stratégie d' « Electrolux » est mondiale. On ne fabriquera plus qu'un produit par usine. Celle de Revin ne produira plus que des laves linge à chargement par le haut, celles de Méziéres, de Signy et de Nevers, trop petites et impossibles à reconvertir sont vendues. Le seuil de rentabilité à Revin est de 400 000 appareils par an. Il n’est plus atteint et « Electrolux » annoncera en 2012 la fermeture de l'usine s’il ne trouve pas de repreneur. Des négociations sont toujours en cours avec une PME de Nevers mais rien n’est certain et il n’est pas évident que les manifestations répétées des syndicats accélèrent le processus.

On ne peut que souhaiter qu’il aboutisse pour les 390 personnes encore salariées à Revin dans une usine qui en a connu plus de 3 200 au moment de l'absorption de « Faure et Cie ».

Dernière précision : « Electrolux » a supprimé la marque « Arthur Martin » en 2007 et conservé la marque « Faure ». C'est un clin d'oeil qui n’est pas une consolation.

Je vous remercie et suis, bien entendu, prêt à répondre à vos questions. »

Après cet exposé, Benoît FAURE apportent quelques précisions notamment sur l’histoire de la statue… Il répond également aux interrogations de Jean-Paul STEPNIK sur l’ouvrage de Roger SZYMANSKI et sur les recherches récentes d’un jeune chercheur, Grégory KACZMAREK qui a donné récemment une conférence à la Société d’Histoire des Ardennes sur « L’étude d’une famille de la métallurgie ardennaise : les Faure (1854-1926) : méthodes, documentation et analyses. »

Les photos illustrant le texte original de ce document (en version .pdf) et projetées lors de la conférence, ne sont pas reproduites ici. Les lecteurs les retrouveront dans l'ouvrage sont tirées de l’ouvrage « Faure à Revin ».