François HUSSENOT, « père » des enregistreurs de vol
par Rémi HUSSENOT
Mardi 1er avril 2014

Dans notre bulletin n° 229, du mois de juin 2011, poursuivant le dépouillement des archives de notre association, remises par Jean LANGLET, j’ai rappelé le souvenir de trois anciens adhérents, précurseurs de l’aéronautique. Parmi ceux-ci, François HUSSENOT, brillant polytechnicien né à Mézières, auquel on doit l’invention d’un des matériels souvent au cœur de l’actualité: la fameuse boîte noire, qui équipe désormais tous les avions. Le hasard d’une recherche sur Internet a conduit Rémi, l’un de ses fils, à prendre contact avec votre président et ce fut le point de départ d’échanges, d’abord épistolaires, puis verbaux, prémisses d’une rencontre puis d’une adhésion de Rémi HUSSENOT à « l’Ardenne à Paris » et de sa proposition de conférence.

  Rémi HUSSENOT est venu, accompagné de son épouse et de Mme Denise VANECK, secrétaire de l’association « Les vieilles racines » qui regroupe les passionnés d’aéronautique (aero.espace.vr.pagespro-orange.fr) le mardi 1er avril, pour nous raconter, avec verve, l’histoire et les recherches de son père qu’il a pourtant peu connu, puisqu’il n’avait que 9 ans au décès de celui-ci, en service commandé.

  Rémi HUSSENOT a émaillé son récit d’anecdotes qui ont ajouté une touche très personnelle à la conférence, insistant notamment sur le rôle de sa mère qui dût prendre en charge la subsistance et l’éducation d’une fratrie de 9 jeunes enfants au décès de leur père et insistant sur le caractère désintéressé et profondément humaniste de celui-ci.

  L’orateur a d’abord rappelé l’origine macérienne de son père, né le 22 mars 1912, au 29 de la rue d’Arches où une plaque a été apposée à la demande de sa famille, mais qui ne rappelle pas l’invention de la boîte noire. Après des études brillantes à l’institution Saint-Remi de Charleville, il sera en 1930, le premier ancien élève de Saint-Remi, à être admis à l’Ecole Polytechnique, à l’âge de 18 ans. C’est au cours de ses études parisiennes qu’il rencontra sa future épouse, qui a souvent rappelé à ses enfants combien les « cousines » ardennaises ne l’aimaient guère car elle leur avait « soufflé » le brillant parti qu’était François HUSSENOT.

  Après avoir parfait sa formation à l’Ecole d’application aéronautique de Versailles, François HUSSENOT obtint ses brevets de pilote d’autogire puis d’hydravion, avant d’intégrer l’Ecole supérieure d’aéronautique (SUPAERO) dont il sortit diplômé ingénieur de l’aéronautique.

  Sa carrière professionnelle commence en 1935, à Villacoublay au Centre d’essais de matériels aériens (CEMA), puis en 1936 au Centre d’essais en vol (CEV) de Marignane où il est pilote d’essais et où il commence ses premières recherches sur les enregistreurs de vol, en développant des enregistreurs envoyant des impulsions électriques sur des bandes émulsionnées comme des clichés photographiques. En effet, si la boîte noire est aujourd’hui dans l’esprit du public un moyen de connaître les causes des accidents, à l’origine c’était un outil destiné à corriger les défauts et faiblesses des prototypes, qui étaient analysés conjointement par les ingénieurs et les pilotes d’essai.

  Après la guerre, l’ingénieur-pilote François HUSSENOT reprend ses recherches, associé à un ami industriel spécialisé dans la fabrication des oscillographes, Charles BAUDOUIN. Il fonde en 1947, avec un autre associé, la SFIM, (Société française des instruments de mesure) qui prend en charge la fabrication des Hussenographes, enregistreurs photographiques de vol type HB pour HUSSENOT et BEAUDOUIN. Car notre conférencier insiste sur la volonté toujours manifestée par son père de développer ses projets en équipe sans jamais en tirer seul les profits.

  C’est le moment où Rémi HUSSENOT présente les prototypes d’hussenographes qu’il a apportés, expliquant le souci de son père de créer des matériels portables que les pilotes pouvaient emporter. Il souligne que les premiers appareils n’enregistraient qu’une dizaine de données mais que, très vite, la miniaturisation et les progrès de l’électronique permettront de multiplier le nombre des données qui, dans les boîtes noires d’aujourd’hui, sont plusieurs milliers. Si l’appellation d’origine : boîte noire venait d’une part du caractère photographique du traitement des données et d’autre part de la couleur initiale du coffre dans lequel les appareils étaient contenus, très vite on s’est aperçu de la nécessité de donner une couleur plus voyante à cette boîte, notamment en cas de perte et c’est pour cela qu’aujourd’hui elle est orange fluorescent.

  Mais fonctionnaire de l’Etat ou industriel, François HUSSENOT dût choisir entre les deux carrières et c’est le service de l’Etat qu’il privilégia abandonnant ses parts dans la SFIM à son associé, qui, au décès de François HUSSENOT les remit à son épouse lui assurant ainsi une source de revenus pour élever ses enfants. La SFIM est aujourd’hui partie intégrante du groupe Safran constructeur aéronautique et d’armement, et Rémi HUSSENOT a eu la surprise d’être appelé par l’entreprise quand celle-ci a souhaité, en 2010, donner le nom de François HUSSENOT au site SAGEM de Massy-Palaiseau, le PDG l’ayant assuré de la valeur de cohésion dans l’entreprise qu’il attachait à cette référence.

  François HUSSENOT est mort en service commandé avec trois compagnons près de Castelneau–de-Brassac dans le Tarn alors qu’il effectuait une liaison Paris-Mont-de-Marsan-Marignane. Redécollant de Mont-de-Marsan vers Marignane, l’appareil fut pris dans un épais brouillard et l’équipage désorienté, décida de faire demi-tour et ce fut l’accident : François HUSSENOT avait 39 ans. Chaque année, Rémi HUSSENOT organise, sur les lieux de l’accident une cérémonie du souvenir devant la stèle que sa mère a voulu la plus simple possible pour résister au temps.

  S’intéressant aux travaux de son père, Rémi HUSSENOT a retrouvé la trace, à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) de 18 brevets déposées par son père dont 12 en son nom et 6 au nom de l’Etat.

  La conférence fut, bien sûr, l’occasion d’évoquer la disparition récente du Boeing de la Malaysian Airlines et de rappeler celle du vol Air-France Rio-Paris dont l’analyse des boîtes noires a permis, sans délai, de modifier les sondes extérieures des avions qui s’étaient révélées déficientes.

  Rémi HUSSENOT indiqua également que plusieurs prototypes d’Hussenographes sont en dépôt dans différents musées aéronautiques et que prochainement un exemplaire sera exposé au musée d’Ardenne de Charleville-Mézières.

  Si le nom de François HUSSENOT est aujourd’hui quelque peu oublié du grand public, il reste très présent au sein du monde aéronautique dont une promotion de l’Ecole du personnel navigant (qu’il a contribué à créer) porte le nom, comme de nombreux aéro-clubs.

  En conclusion, Rémi HUSSENOT ne manqua pas d’évoquer le souvenir de la mère de son père : Jeanne POIRIER qui était la sœur de George POIRIER, grand résistant, dont un boulevard de Charleville-Mézières porte le nom. Il rappela aussi que François HUSSENOT était très ami avec son cousin Maurice PÉRIN (né comme lui en 1912 et qui a fait HEC et qui fut membre de « l’Ardenne à Paris »), et qu’il était également cousin d’André FRANÇOIS, père de la brillante chef d'entreprise de BTP Brigitte ANDRÉ-POUSSEUR, membre de «  Jeune Ardenne » alors qu’elle était étudiante, puis ensuite de « l’Ardenne à Paris ».


  Enfin, rappelons pour la petite histoire de « l’Ardenne à Paris » que François HUSSENOT en fut membre dès 1933 et que son épouse rejoignit l’association lors de son renouveau en 1954.

  Le temps avait passé trop vite, et l’assistance aurait aimé pouvoir prolonger cette rencontre que le naturel et la faconde de l’orateur ont captivée.