« Ecoutons le passé de l’hôpital de Charleville-Mézières… si nous voulons entendre ce que nous vivons »
Conférence de Claude GRIMMER - 1er décembre 2015


  C’est avec plaisir que nous avons accueilli Mme Claude GRIMMER, docteur en histoire, maître de conférence à l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand et membre active du groupe de recherches du Centre Roland Mousnier à Paris IV-Sorbonne. Spécialiste de l’histoire sociale et culturelle de l’Ancien Régime, elle a publié récemment dans la collection des cahiers de la Société d’Histoire des Ardennes

« Un hôpital dans la ville : l’exemple de Charleville XVIIe – XXe siècles »

qui servira de trame à la conférence.



  Soucieuse de ne pas simplement reprendre le canevas de son livre, Mme GRIMMER a souhaité axer son propos sur la récurrence et même la permanence des problèmes auxquels l’hôpital a été confronté, de sa création jusqu’à sa fusion avec l’hôpital de Mézières, en utilisant l’analyse du passé pour donner du sens à l’avenir.

  Et d’abord pourquoi s’intéresser à l’hôpital de Charleville ? Parce que c’est un cas d’école fort bien documenté en raison des nombreuses archives qui le concernent même si celles- ci sont dispersées entre Charleville-Mézières, Chantilly, Monaco et bien sûr Paris avec les fonds conservés par la compagnie des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul et ceux de la Bibliothèque Nationale de France. On possède ainsi les comptes et factures de l’hôpital, année par année, depuis le XVIIe siècle.

  Mme GRIMMER a commencé son exposé en retraçant l’histoire de l’hôpital de Charleville. Créé en 1625, dans le quartier du Saint-Sépulcre par Charles de GONZAGUE sous le nom d’Hôpital de l’Ordre de la Milice Chrétienne, il est accolé au grand prieuré de la Milice Chrétienne, qui ne sera construit qu’en partie. Plutôt qu’un hôpital, c’est en fait un hospice pour les vieillards, les vieillardes, les orphelins et les orphelines, originaires de Charleville.

  L’éloignement des successeurs de Charles de Gonzague, partis à Mantoue, entraîne une désorganisation progressive de l’hôpital dont la ville n’est plus à même d’assurer l’entretien.

  Au décès, en 1709, du dernier duc de Mantoue, s’ouvre une succession longue et difficile qui verra Charleville tomber entre les mains des CONDE, la ville perdant son statut de principauté indépendante et intégrant le Royaume de France. A partir de 1738 s’ouvre donc une nouvelle page de l’histoire de l’hôpital avec Louis de BOURBON qui achète à proximité des bâtiments existants une maison qui abritera l’administration de l’hôpital et fait construire un nouvel hôpital sur le modèle de celui qu’il avait fait bâtir à Chantilly (qui existe toujours). Il rebaptise l’hôpital Hôtel-Dieu de Saint-Louis et y fait venir des religieuses de la Compagnie des Filles de la Charité (fondée par Vincent-de-Paul). L’Hôtel-Dieu n’est toutefois qu’un petit établissement privé, par rapport à l’hôpital de Mézières qui reçoit les enfants trouvés, les prostituées, les femmes enceintes et les blessés. La situation durera jusqu’à la Révolution où l’Hôtel-Dieu passera sous gestion municipale, les CONDE ayant émigré.

  Progressivement, au XIXe siècle, le préfet prendra une place prépondérante avec des contrôles réguliers et l’édiction de normes. En outre une rivalité larvée entre les établissements de Charleville et de Mézières aboutira à un compromis au terme duquel chaque ville devra s’occuper des ses malades, ce qui va nécessiter une profonde réorganisation de l’hôpital de Charleville et la nécessité de l’agrandir.

  Alors qu’à la fin du XIXe siècle, la mode est à la construction d’hôpitaux pavillonnaires en dehors

  Le bâtiment sera à nouveau agrandi en 1910, puis réorganisé par les troupes allemandes qui dénoncent sa vétusté, en 1914. Une nouvelle extension interviendra en 1929, au moment même où l’on construit à Mézières l’hôpital de Manchester, sur des terrains issus du don de Victoire COUSIN et avec des fonds de la ville anglaise, en remerciement des soins prodigués aux soldats britanniques durant la guerre.

  En 1966, ce sera la réunion administrative des deux établissements de Mézières (Manchester) et de Charleville, baptisé Corvisart pour le différencier. Puis ce sera en 1987, le regroupement physique des services sur le site de Manchester qui s’achèvera en entre 1988 et 2008 par la construction de l’hôpital actuel de Manchester et la désaffectation de l’hôpital Corvisart et de ses annexes pour lesquels la divers projets sont en cours d’étude.

  A titre de comparaison, au XVIIIe siècle pour une population d’un peu moins de 10 000 habitants, les hôpitaux de Charleville et de Mézières ont une capacité de 90 lits. Aujourd’hui pour une ville d’environ 50 000 habitants, la capacité est de 820 lits.

  Après cette introduction, Mme GRIMMER organise son exposé autour de trois thèmes mêlant exposé historique et coupures de presse contemporaines :
  • Qui doit-on soigner ?
  • Hygiène et rigueur : un souci constant.
  • L’argent, toujours l’argent.


  • Qui doit-on soigner ?

      C’est la question récurrente de l’accès aux soins. L’hôpital ouvert en 1750 par les CONDE est réservé aux « pauvres malades » de la ville, ce qui justifie l’appel aux Filles de la Charité dont la vocation est de s’occuper des déshérités. Les registres permettent de bien cerner la population. Ils comportent, outre l’état-civil, les dates d’entrée et de sortie. Ils sont tenus par le curé qui choisit les nouveaux admis. L’examen des registres montre que les malades sont principalement des ouvriers du textile et de la métallurgie pour les hommes et des lingères pour les femmes. Mais le règlement des Filles de la Charité exclue d’accueillir les mendiants, les prostituées, et les femmes en couche, qui sont dirigés sur Mézières et les fous, envoyés à Sedan. On relève toutefois l’admission de quelques étrangers de passage (bateliers, Savoyards…) Mais sous l’Ancien Régime le «pauvre malade», c’est celui qui est travailleur et que l’on connaît, c’est celui d’ici.

      Ces modalités d’admission dureront jusqu'à l’adoption du nouveau règlement de 1833 qui prévoit de recevoir «tous les habitants et enfants d’habitants domiciliés dans la ville et les faubourgs depuis plus de 3 ans, blessés ou atteints de maladie et aussi tous les étrangers pauvres et absolument indigents, sans asile, fortuitement blessés ou surpris de maladie qui ne leur permettrait pas de continuer le voyage.» Toutefois, restent exclus les incurables, les maladies contagieuses, l’épilepsie, la syphilis, la démence, la fureur, les femmes enceintes. Sous la Monarchie de Juillet, le maire de Charleville, Nicolas Sébastien STEVENIN, souhaite recentrer les admissions en direction des plus pauvres.

      Sous la IIIe République, avec le développement des techniques médicales et des contrôles (tant de l’administration que des Filles de la Charité), l’hôpital doit accueillir tous les malades et notamment les prostituées et les femmes enceintes. Dans la mesure où les règles des Filles de la Charité leur interdisant de traiter ces publics, ce sera le début de l’embauche de personnels laïcs et la création d’une maternité.

      Au début du XXe siècle, la bonne réputation de l’hôpital va y attirer des patients plus aisés, ce qui conduira, en 1920, le maire de l’époque, le docteur VASSAL, à restreindre les admissions aux plus pauvres et à créer des salles payantes pour les plus aisés. C’est la création du secteur privé.

  • Hygiène et rigueur : un souci constant.

      Mme GRIMMER rappelle d’abord que les questions d’hygiène ont toujours été une préoccupation constante des Filles de la Charité et elle indique les conditions de recrutement et de formation de ces religieuses qui, souligne-t-elle, ne prononcent pas de vœux. Ce sont avant tout des femmes d’action, formées à la fabrication des médicaments et aux gestes techniques de base : pansements, saignées et clystères. Le manuel des Filles de la Charité est extrêmement précis sur la manière de donner les soins et les règles de sécurité à respecter.

      A la fin du XIXe siècle, la préoccupation de l’hygiène est moins prégnante et un rapport d’inspection des Filles de la Charité de 1883 souligne «la pauvreté et la mauvaise tenue des salles. Vêtements, nourriture, tout est insuffisant.» Dès lors on va porter plus d’attention à la nourriture des malades, à leur confort et leur environnement. Puis viendra l’attention portée à la contagion et à la désinfection avec la construction, en 1910, d’un pavillon des contagieux, des cellules d’aliénés et d’un dispensaire pour les maladies contagieuses et d’un autre pour les syphilitiques. Les Allemands, quant à eux construiront un établissement de bain.

      Après la guerre, les dommages de guerre permettent d’entreprendre en 1920, des aménagements tenant compte de préoccupations hygiénistes et en renouvelant l’ensemble des mobiliers.

      Toutefois, en 1961, un rapport des religieuses soulignera encore le hiatus qui existe entre l’état de l’immobilier et le niveau du plateau technique.

  • L’argent, toujours l’argent.

      C’est un des principaux débats autour des hôpitaux avec les conséquences en termes de restructurations et les suppressions de services et d’effectifs.

      Dès sa création, l’hôpital de Charleville a connu des problèmes financiers. C’est en effet une fondation privée qui ne vit que de l’argent de la fondation (3 000 livres par les Gonzague, assises sur les revenus des moulins et ensuite 3 000 livres par les Condé gagés sur les profits de la Compagnie des Indes).

      L’hôpital dispose de peu de revenus fonciers (au début du XIXe siècle, l’hôpital possède quatre maisons louées dans Charleville et trois fermes). Il perçoit aussi quelques rentes et les produits de l’octroi. Enfin comme les administrateurs le relèvent, le caractère ouvrier de la population de Charleville ne la prédispose pas aux donations qui restent donc modestes. Enfin c’est une fondation charitable fondée sur le bénévolat.

      Divers palliatifs sont mis en œuvre : au milieu du XVIIIe siècle, les religieuses vont vendre les médicaments qu’elles fabriquent et en 1784, est créé un atelier de filature de coton où les malades vont filer et tricoter des bonnets vendus aux habitants de Charleville. Par ailleurs les compétences professionnelles des malades sont utilisées au service de l’hôpital. On prendra également des malades payants. Parallèlement des économies sont mises en œuvre par des suppressions de postes ou par exemple la suppression des rabats blancs des orphelins dont l’entretien coûte trop cher.

      Des mécènes soulagent les finances de l’hôpital, tel le président à mortier au Parlement de Paris, Jean-Antoine de MESME, fondé de pouvoir de Charles de Gonzague qui désintéresse les créanciers trop pressants, ou à la fin du XIXe siècle le legs de Victoire COUSIN qui donnera de nombreux biens immobiliers. Ils permettront la construction du dernier bâtiment de l’hôpital Corvisart et surtout celle de l’hôpital Manchester.

      Mais avec le développement de la technicité médicale et le départ progressif des Filles de la Charité, les besoins financiers s’accroissent. Et c’est toujours dans les périodes de difficultés financières que s’impose l’obligation de restructurer.

      Ainsi quand en 1959 les maires de Mézières et de Charleville vont défendre auprès du directeur général de la Santé un projet commun, ce dernier leur répondra de d’abord fusionner les deux hôpitaux de Mézières et Charleville et que les crédits viendront après.

      La fusion administrative interviendra par décret du 20 novembre 1961 et cela ouvrira ce que Claude GRIMMER appelle l’âge d’or de l’hôpital, entre 1978 et 1988 grâce à l’action et l’intelligence politique des deux maires. Durant cette période seront créés le SAMU, l’extension du bloc opératoire et de la radiologie, la modernisation du service de cardiologie…

      Mais en 1988, on reparle d’économie, ce qui conduira au regroupement des deux sites, à la fermeture de l’hôpital de Corvisart, et à la construction de Manchester.


  Après un échange avec l’assistance permettant d’apporter quelques précisons à l’exposé, c’est le moment de partager le traditionnel buffet de la Saint-Nicolas qui s’achève avec la distribution des pains d’épices à l’effigie du Saint.

  JLL