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(patois de la région Raucourt-Mouzon) Quand j'allais à la chasse, je prenais toujours mon repas de midi chez la "Belle Ernestine"; c'était le surnom (sobriquet) de la patronne qui tenait une petite auberge bien tranquille, isolée, à la croisée de trois routes. Je m'y sentais comme chez moi. Ernestine avait été belle autrefois. Mais aujourd'hui, c'était une commère énorme, luisante de graisse et de sueur. Mais elle avait la langue bien pendue, un sacré bagout ! Un jour, par une chaleur du diable, nous[*] arrivons à quatre pour manger, sans l'avoir prévenue. La voilà aux cent coups ! Elle nous dit : « Eh bien ! bande de malappris, vous auriez bien pu m'avertir. J'ai déjà mangé, moi; il faut que je parte de suite, chez le percepteur et ensuite, je dois faire quelques courses. Vous vous débrouillerez bien tout seuls. Vous connaissez les manières de la maison; vous n'aurez qu'à regarder dans la maie et dans le buffet s'il y a encore quelque chose. ». Et la voilà partie avec son ombrelle. Après avoir réfléchi, nous avons décidé de faire une bonne salade au lard. L'un d'entre nous est allé chercher de la chicorée au jardin - nous n'avions pas de pissenlits - un autre a épluché les pommes de terre, un autre encore est allé chercher du vin, tandis que le quatrième a dressé la table. Mais, il nous fallait du lard et il n'y a en avait plus au plafond, ni dans les buffets. Après avoir bien cherché un peu partout et à force de fouiller, j'en avais tout de même trouvé un morceau, caché au fond d'un bas de buffet, derrière des récipents. Il n'avait pas l'air très frais et, après l'avoir senti tous les quatre, je pensais qu'il avait déjà servi, sans savoir dire à quoi. Mais, à la guerre comme à la guerre : nous n'étions pas des gens bien regardants, question nourriture. Je l'avais vivement fait frire en petits morceaux dans la poêle. Puis, nous avons mangé notre salade au lard que nous avons tous trouvée bonne malgré un petit goût, qui nous a semblé bizarre. J'avais complété notre gueuleton avec de la saucisse, du fromage égoutté, du vin, le café, le pousse-café (la rincette) et le cigare. Çà pouvait aller ! Le soir, quand la chasse a été finie, je suis repassé comme d'habitude à l'auberge. Ernestine venait de rentrer, éreintée, tout en sueur. Elle nous dit : « Vous vous êtes donc préparé une salade pour votre repas ? Je lui ai dit que j'en avais trouvé un vieux morceau dans le bas du buffet, tout à fait dans le fond. Soudain, la voilà partie à rire, mais à rire, à rire comme une vraie folle, en secouant son ventre et ses gros nénés. Si vous l'aviez vue ! Elle en avait les larmes aux yeux. Nous nous regardâmes et nous la regardâmes comme quatre bénêts ! Après dix bonnes minutes, elle s'est calmée un peu, puis elle nous a dit avec des sanglots : « Ah ! espèces de grands dégoûtants, vous avez mangé le morceau de lard qui sert à m'enduire l'entre-jambes, quand je souffre d'irritation ! ».
[*] le singulier (je) est parfois employé en lieu et place du pluriel (nous) !
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