![]() | |
| |
(Conte de Noël en patois champenois de Braux) Autrefois, il y a de ça bien longtemps, dans un village dominant
la Semoy, il y avait un curé si malin, qui en faisait tant voir aux gens, qu'il ne
trouvait plus personne pour être sacristain. Il avait fait passer une annonce par le tambour du village mais sans succès. Un jour, un chemineau, comme on en voyait dans ce temps-là, besace au dos, est arrivé au village, cherchant de petits travaux à effectuer et un endroit où dormir. Il est allé voir le curé qui lui proposé de loger [chez lui] et de plus, de lui donner un petit pécule à la fin du mois. A condition d'assurer la place de sacristain. Le marché s'est conclu. Le curé a installé son nouveau sacristain dans un petit appentis adossé au presbytère avec un poulailler et un petit jardin. Avec sa première paye à la fin du mois, le chemineau s'est acheté six poulettes, mais comme il n'avait rien à leur donner à manger, il les lâchait, afin qu'elles puissent aller ramasser ce qu'elles pouvaient, chez les voisins. Bien entendu, les gens les chassaient en les faisant sauter. Les pauvres bêtes ne savaient plus où aller. Un beau jour, les voilà passées dans le jardin du curé qui était juste à côté, puis dans la cour où se trouvait le maïs que le curé donnait à ses pigeons. Mais le curé, à voir ses salades ainsi dévorées et son maïs avalé, n'était pas content du tout. Il s'en est plaint au sacristain : « Tes poules saccagent mon jardin, veille donc un peu à ce que celà cesse ». « Ah ! dit le sacristain, j'y prends grarde, vous savez, mais les poules, c'est vicieux. Dès que j'ai le dos tourné, elles font des bêtises. C'est des moments où je suis à l'èglise qu'elles profitent pour aller dans votre jardin ». « C'est bien possible, mais toujours est-il que mon jardin est dévasté et le maïs destiné à mes pigeons mangé. Il n'y a qu'une solution : mange tes poules et tout le monde sera tranquille ». « Oui, Monsieur le curé, c'est une solution, mais avec mes poules, j'ai des oeufs et grâce à ça, je ne mange pas mon pain sec. Je vais réparer le grillage, comme ça, elles n'iront plus ». Le sacristain a donc rafistolé le grillage tant bien que mal. Mais le lendemain, les poules sautaient par dessus et allaient s'emplir le gésier avec le maïs des pigeons. On était à la veille de Noël et les poules réveillonnaient à leur façon, au détriment du curé et de ses pigeons. Pauvre curé. En voyant le désastre, la colère lui est montée. Il a pris une motte de terre bien dure, l'a lancée sur les poules et il y en a une qui a été assoummée. Le curé, bien honteux, a ramassé la poule pour aller la rendre au sacristain. Mais un fois entre ses mains, la voyant si belle et si grasse, il s'est dit : « Je serais bien bête de la rendre. Après tout, c'est plus à moi qu'à lui. C'est moi qui ai les crottes et c'est lui qui a les oeufs. Faisons un exemple ! La rendre serait encourager le vice. C'est demain Noël, ça remplacera la dinde ! ». « Honorine, Honorine ! Tenez, ma fille. Plumez ça. Nous fêterons Noël avec ». Le sacristain, dans la soirée, a eu beau rappeler ses poules, la sixième n'est jamais revenue, et pour cause ! Quand le premier coup de la messe a sonné, il a cessé de protester pour aller à l'église. Un peu avant l'office, le curé s'aperçoit qu'il n'y avait pas de vin de messe. « Cours vite jusqu'au presbytère », dit-il au sacristain et va remplir les burettes. En entrant dans la cuisine pour prendre le vin de messe, le sacristain voit Honorine qui remuait quelquechose dans la cocotte et il a senti une bonne odeur lui chatouiller les narines. Mais en se retournant, il a vu un panier de plumes de la couleur de sa poule. Il a tout compris ! « Ah ! Monsieur le curé ! se dit-il, vous avez voulu fêter Noël à mes dépens, attendez un peu ! Vous en serez pour vos frais ! » Puis, il dit à Honorine : « Il faudrait de l'autre vin de messe, le dernier était aigre ». « Je n'en ai pas d'autre », dit Honorine. « Il faudra mettre un nouveau tonneau en perce » « Ne vous tracassez pas, Honorine, je vais mettre ce qu'il faut pour ça. Il ne faudrait tout de même pas que Monsieur le curé fasse [la loupe] en buvant le vin à la messe de minuit. Donnez-moi les outils ». « Descendez à la cave, ils sont derrière le tounneau ». Une fois à la cave, le sacristain a mis le tounneau en perce. Il avait fait un fausset [un éclat ?]. Il a d'abord bu une bonne rasade, il a mis le doigt dans le trou du fausset, puis il a crié : « Honorine ! Honorine ! Venez vite me donner un coup de main, j'ai oublié de faire une cheville ! » Là-dessus, il est remonté les escaliers, quatre à quatre, et rendu à la cuisine, il a mis la cocotte sur la table et il a commencé à manger la poule. Il était tranquille du côté de la vieille, occupée à boucher le trou, avec le curé occupé à dire sa messe et du côté des gens, occupés à écouter la messe. Il mangea en mettant les bouchées doubles, tout en buvant le vin du curé. Tout d'un coup, Honorine lui crie : « Venez vite ! J'ai mal au dos et aux reins ! Et puis, le rôti va être brûlé ! » « Soyez tranquille de ce côté-là, Honorine. Je m'en occupe et de la cheville également, mais le couteau ne coupe pas et il faut qu'elle soit bien faite ». Mais l'enfant de choeur est arrivé en disant que le curé demandait ce qu'il se passait et qu'il fallait le vin tout desuite. Le sacristain qui avait à peu près fini de manger les beaux morceaux, lui a remis les burettes et il a voulu redescendre à la cave pour boucher le trou. Mais, Honorine remontait en disant : « J'avais trop mal aux reins. J'ai été obligée de retirer mon doigt. Le tonneau est vide ». Le Bon Dieu ne laisse rien impuni. Le curé a été puni pour avoir manqué au septième commandement et le sacristain a été puni du péché de gourmandise, parce que la poule n'est pas passée, d'avoir été mangée trop vite, et qu'il a eu une indigestion. L'histoire ne dit pas si le curé a gardé le sacristain, mais on peut dire qu'ils se souviendront longtemps, tous les deux, de cette nuit de Noël-là ! Ernest.
| |
| |
![]() |